Comment poser une indication de décompression chirurgicale pour névralgie Pudendale

E. Bautrant, M. Mollo, A-K. Rossi-Seignert, C. Collet, D. Thiers-Bautrant et R. Boyer.
Centre l’Avancée de réhabilitation pelvi-périnéale
25 Avenue Victor Hugo
13100 AIX-EN-PROVENCE
France

Plusieurs étapes sont nécessaires avant de poser une indication de décompression chirurgicale du nerf Pudendal dans le cadre de la névralgie Pudendale :

1e/ La douleur doit être formellement rattachée au diagnostic de névralgie Pudendale :

C’est le site de la douleur , obligatoirement décrit dans le territoire d’innervation des trois branches terminales du nerf Pudendal , qui représente le critère le plus important pour le diagnostic . Tout autre site de la douleur ne peut être rattaché à une névralgie Pudendale . D’autres critères diagnostics peuvent étayer le raisonnement médical . Nous les avons classés en critères majeurs ou mineurs en fonction de leur spécificité (1). Notre centre à Aix-en-Provence utilise ainsi un score diagnostic :

Critères et score diagnostic d’Aix-en-Provence

CRITERES MAJEURS : CRITERES MINEURS :
- Douleur dans le territoire d’au moins 2 des 3 branches terminales du nerf Pudendal
( Nerf rectal inférieur, Nerf Périnéal, Nerf dorsal du clitoris ou de la verge ).


- Signe de Tinel positif ( Zone gâchette à l’épine sciatique ou au canal d’Alcock qui reproduit la douleur)


- « Sexual arousal syndrome »


- Réponse positive à l’infiltration du canal Pudendal supérieure à 36 heures .
- Type neuropathique de la douleur (Questionnaire DN4 positif) (2)

- Douleur dans le territoire d’une seule des trois branches du nerf Pudendal.

- Aggravation en position assise / Amélioration en orthostatisme ou en décubitus / Aggravation en cours de journée et amélioration la nuit .

- Gâchette significativement douloureuse d’un canal Pudendal / au côté opposé sans véritable signe de Tinel .

- EMG anormal (Allongement du RS ou latence motrice de conduction)

- Ralentissement vélocimetrique du flux de l’Artère Pudendale Echo-doppler.

Le diagnostic de Névralgie Pudendale est retenu lorsque sont présents : 2 critères majeurs / OU 1 critère majeur et 2 critères mineurs / OU 3 critères mineurs

2e/ Il convient d’écarter les causes non-tronculaires des névralgies Pudendales :

- Les causes centrales et médullaires
- Les causes radiculaires


Les étiologies centrales seront écartées par une évaluation psychologique spécifique à la recherche d’une cause centrale psychogène (3) .

Les étiologies médullaires et radiculaires seront éliminées par une évaluation neurologique avec IRM médullaire .

L’étiologie tronculaire de type neuropathique est la cause la plus fréquente de la névralgie Pudendale . Elle peut être confirmée par l’électromyogramme ( EMG ) qui peut mettre en évidence un ralentissement des réflexes sacrés et un allongement des latences motrices de conductions . Les résultats de l’EMG doivent cependant être intégrés au sein de l’ensemble du raisonnement médical du fait d’un nombre non négligeable de faux-positifs et de faux- négatifs .

3e/ Relier la neuropathie tronculaire Pudendale à un syndrome canalaire compressif

reste le point le plus important et le plus délicat . Il conditionne l’éventuelle indication chirurgicale puisque le seul objectif de la chirurgie est la décompression.

Plusieurs étiologies plus rares de neuropathies Pudendales « non-compressives » doivent être éliminées :

- Neuropathies par traumatismes directs
- Syndromes Piriformes
- Compressions tumorales ( Une IRM périnéale est nécessaire ) ( FIG 1 )

Le syndrome canalaire compressif peut alors être évoqué . Pour 1000 patient(e)s pris en charge dans notre centre à Aix-en-Provcence , le syndrome canalaire représente plus de 80% des étiologies des neuropathies Pudendales .

Le syndrome canalaire compressif ou Pudendal nerve entrapment (PNE) des anglo-saxons est toujours dû à la rétraction fibreuse du ligament sacro-épineux sur le ligament sacro-tubereux (pince ligamentaire) et/ou du processus falciforme sur le canal d’Alcock ( FIG 2 ) .

La sclérose rétractile des ligaments cités supra suit de plusieurs années une éventuelle origine traumatique ou déséquilibrante du pelvis . Mais ,dans plus de la moitié des cas , aucune raison ne peut être mise en évidence .


Quels signes peuvent suggérer une telle compression du nerf Pudendal par élévation des pressions dans son canal ?

- La palpation d’une évidente sclérose du ligament sacro-épineux (LSS ) ou du processus falciforme ( PF ) à l’examen clinique endo-cavitaire .
- L’aggravation en position assise évoque une augmentation de la pression dans le canal Pudendal .
- L’EMG peut confirmer la neuropathie Pudendale , approcher sa sévérité , voire selon certains auteurs localiser le site de la lésion tronculaire (1) ; mais l’.EMG ne peut être utilisé pour porter le diagnostic de compression .

- A l’opposé , l’étude écho-doppler de la vélocimétrie des artères et veines Pudendales renseigne sur la pression dans le canal Pudendal . Une réduction significative du flux peut faire évoquer un syndrome canalaire à ce niveau .

4e/ La 1ere étape du traitement n’est pas chirurgicale :

La première phase thérapeutique médicale et réhabilitative permet selon les auteurs (4) et dans notre experience une amélioration des symptômes douloureux ou une guérison dans 30 à 50% des cas en première intention. La prise en charge médicale comprend deux grands volets : l’atténuation de la douleur et la réduction de la pression dans le canal pudendal.

a) L’atténuation de la douleur : Aucun antalgique ne s’impose dans cette indication ; en effet nous ne disposons pas, dans l’état actuel des connaissances, d’un antalgique efficace dans ce type de névralgie. Il convient donc d’essayer par paliers de niveau l’ensemble des antalgiques car il est parfois possible au cas par cas d’obtenir des réponses pour chacune des classes d’antalgiques. La déception est souvent la même avec les morphiniques. Lorsque ceux-ci sont envisagés, il semble intéressant d’utiliser les Chlorydrates d’Oxycodone ( Oxynorm® et Oxycontin® ) qui paraissent présenter davantage d’effet sur la douleur neuropathique. Les antalgiques peuvent être associés utilement aux anti-convulsivants. Nous utilisons toujours en première intention le Clonazepam (Rivotril®). En cas d’échec, la Gabapentine (Neurontin®), voire plus récemment la Prégabaline ( Lyrica®).

b) La réduction de la pression dans le canal pudendal : Deux grandes armes thérapeutiques sont utilisées : les infiltrations dans le canal pudendal et la kinésithérapie associée à l’ostéopathie.

- Les infiltrations : leur mécanisme de fonctionnement n’est pas consensuellement admis. Nous pensons pour notre part que leur efficacité principale vient davantage de la réduction de la pression dans le canal pudendal que du produit injecté lui-même. La réduction de la pression dans le canal pudendal pourrait venir de deux phénomènes : le point de puncture par l’aiguille et la contre-pression hydraulique. Nous effectuons une à trois infiltrations. Celles-ci sont réalisées sous contrôle tomodensitométrique , échographique , électrophysiologique ou sous contrôle anatomique, en fonction des habitudes de chacun des membres de notre équipe. En cas d’échec ou de récidive douloureuse, le type de réponse est un des facteurs pronostiques de la chirurgie de décompression.

- La kinésithérapie et l’ostéopathie : il s’agit d’un axe thérapeutique majeur mais il nécessite une connaissance spécifique du kinésithérapeute et de l’ostéopathe dans cette indication ( 4 ). Il convient d’éviter la traditionnelle kinésithérapie périnéale trop souvent prescrite dans cette situation et qui, malheureusement, va dans le sens opposé à l’action attendue. L’objectif, en effet, est d’éviter tout travail en contraction et d’obtenir la sidération des élévateurs de l’anus et de leurs faisceaux ischio-coccygiens, associée à un travail spécifique sur les muscles piriformes dont nous connaissons les réactions délétères dans l’évolution de la névralgie pudendale. Le travail en ostéopathie est identique mais peut être ciblé sur les insertions sacrées des ligaments sacro-épineux et sacro-tubéreux ainsi que sur les articulations sacro-iliaques et lombo-sacrées.

Lorsque cette première phase thérapeutique échoue , l’ indication de décompression chirurgicale peut être posée .

5e /Avant l’intervention , comment évaluer le pronostic de la chirurgie de décompression ?

L’étude statistique de nos résultats après 420 interventions de décompression nous permet de dégager six facteurs pronostics :

- La réponse aux infiltrations ou l’existence de période de rémissions spontanées .
- Le statut psychologique du patient .
- L’age du patient .
- L’ancienneté de la douleur .
- La sévérité des résultats EMG .
- Les constatations anatomiques .

6e / Quelle technique opératoire utiliser ?

La chirurgie du nerf pudendal ne peut et ne doit pas avoir d’autre action que la décompression du nerf dans le canal pudendal.
L’objectif principal est donc d’obtenir la meilleure décompression possible de cette véritable « enceinte de pression » que représente le canal pudendal dans son ensemble (FIG 2).

Il est possible d’atteindre cette enceinte :
- par un accès supérieur : la voie coelioscopique (5),
- par un accès inférieur : la voie périnéale de Shafik (6,7),
- par un accès postérieur : lavoie trans-glutéale de Robert (8)
- par un accès endo-pelvien : la voie trans-ischio-rectale de Bautrant (1,).
Chacune de ces voies peut être efficace en apportant l’ouverture de l’enceinte, mais les voies postérieure et endo-pelvienne apportent les meilleures décompressions en accédant à l’ensemble des sites de compression (FIG 3 ) .


Après avoir utilisé les voies coelioscopique, périnéale et trans-glutéale, précédemment décrites, entre 1997 et 1999, nous utilisons au sein de notre équipe la voie Trans-ischio-rectale depuis 1998, car elle répond de façon optimale aux impératifs de la chirurgie de décompression du nerf pudendal (FIG 4).

Cette technique permet d’augmenter les taux d’amélioration de la symptomatologie et de guérisons (9) sans nécessiter de dissection du nerf lui-même dont on connaît la grande fragilité, ce qui réduit ainsi le risque d’aggravation douloureuse. Elle autorise enfin les contrôles endoscopiques et EMG per-opératoires . La technique opératoire s’éffectue sous contrôle endoscopique retro-perineoscopique . Elle a été utilisée d’octobre 1998 à décembre 2006 chez 420 patients (284 femmes et 136 hommes).

Les résultats de cette série sont intéressants puisque dans les 3 mois qui suivent l’intervention 51% des patients sont asymptomatiques, mais les meilleurs résultats sont obtenus à 12 mois avec 80% d’améliorations significatives et 61% de guérisons ( disparition complète de la douleur ).

Les complications opératoires sont dominées par les phénomènes hémorragiques (1,6%) et infectieux (1,8%).Il n’a pas été décrit de complications nerveuses dans les suites de la décompression trans-ischio-rectale . Un syndrome du muscle Piriforme est survenu de novo dans 18% des cas dans les suites opératoires , alors que 21% des patient(e)s présentaient déjà un tel syndrome en pré-opératoire .

Les effets sur la continence urinaire sont constamment favorables avec amélioration d’une incontinence urinaire d’effort dans 22 cas sur 38 et d’une instabilité vésicale dans 16 cas sur 21, et aucune induction ou aggravation d’une incontinence urinaire n’est signalée.
Parmi 32 patient(e)s présentant une incontinence anale avant la décompression, 19 ont vu disparaître leur incontinence. En revanche 2 patientes ont vu apparaître une incontinence anale en post-opératoire immédiat. Celle-ci a disparu complètement dans les 3 mois qui ont suivi.
52 patientes présentaient une symptomatologie de dyschésie rectale associée à la névralgie pudendale en pré-opératoire ; 18 ont été améliorées mais 8 ont vu leur dyschésie rectale s’aggraver.
Enfin la récupération des troubles orgasmiques ou de la dysérection est importante et ces fonctions ne sont jamais aggravées et presque toujours améliorées après décompression pudendale par voie trans-ischio-rectale .. Ainsi 113 patient(e)s présentaient une dysfonctiion sexuelle . 59/71 femmes ont constaté une amélioration d’une anorgasmie secondaire et 37/42 hommes ont vu disparaître la dysérection,

CONCLUSION :

La chirurgie de décompression du nerf Pudendal ne doit être indiquée que lorsque la névralgie Pudendale est due à un syndrome canalaire et lorsque la première phase thérapeutique non-chirurgicale a échoué .
Les étiologies centrales , médullaires, radiculaires et neuropathiques non-compressives doivent être écartées .

Le syndrome canalaire est toujours lié à la rétraction fibreuse du ligament sacro-épineux et/ou du processus falciforme . La voie endo -pelvienne et trans- ischio- rectale apparaît très efficace pour ouvrir chaque site de compression n’ entrainant qu’un minimum d’effet secondaire et autorisant des résultats encourageants sur le phénomène douloureux .

REFERENCES :

1 . Bautrant E, de Bisschop E, Vaini-Elies V, Massonnat J, Aleman I, Buntinx J et al : La prise en charge moderne des névralgies pudendales . A partir d’une série de 212 patientes et 104 interventions de décompression. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris) 2003, 32 :705-712

2 . Bouhassira D, Attal N et al. : Comparison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and development of a new neuropathic pain diagnostic questionnaire (DN4) . Pain. 2005 Mar ; 114 (1-2) :29-36

3 . Jeffrey A.M et al : Brain Derived Neurotrophic Factor (BDNF) from microglia causes the shift in neuronal anion gradient underlying neuropathic pain . Nature , 2005 ; 438 : 1017-21

4 . Prendergast S, Weiss J . Screening for musculoskeletal causes of pelvic pain . Clin Obstet Gynecol 2003 Dec ; 46(4) :773-82 .

5 . Nieves .A : Laparoscopic release of pudendal nerve entrapment for the treatment of pudendal neuralgia . October 7-8 ,2005 . International Pelvic Pain Society , 13th annual meeting .Atlanta .

6 . Shafik.A : Pudendal canl syndrome as a cause of vulvodynia and its treatment by pudendal nerve decompression . European Journal of obstetrics and gynaecology and reproductive biology . 1998 ; 80 : 215-220 .

7 . Beco J, Climov D, Bex M . Pudendal nerve decompression in perineology : a case series . BMC surgery 2004, 4 : 15 .

8 . Robert R, Brunet C, Faure A, Lehur PA, Labat JJ, Bensignor M et al : La chirurgie du nerf pudendal lors de certaines algies pelvi-périnéales : évolution et résultats . Chirurgie 1993-1994 ; 119 : 535-539

9 . Bautrant E, Prendergast S, deBisschop E, Weiss J, Vaini-Elies V, Rummer E et al . A new algorithm for the management of pudendal nerve entrapment : The role of physical therapy , electrophysiological testing and surgical decompression . October 7-8 , 2005 . International Pelvic Pain Society , 13th annual meeting . Atlanta

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